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La conquête de la planète ne s'était pas faite finement. C'est que Barakhan avait le sens de la démesure et qu'en la matière on ne se sentait pas vraiment de capturer le monde sans une force de frappe capable de faire face à toute insurrection, mouvement de foule ou soudain éveil nationaliste au sein de la Confédération. Ce qui aurait pu être une petite opération commando, discrète et efficace, devint ainsi rapidement une opération militaire d'une certaine ampleur, facilité il est vrai par la collaboration des administrations locales.
La situation calmée en surface, on sécurisa l'entrée de la caverne, et Laskhmî s'y engouffra, semant derrière elle autant de garde qu'elle le jugeait nécessaire pour assurer sa sécurité. Elle voulait pénétrer dans les lieux seule ou presque. Gérer la situation seule ou presque. Elle s'attendait à rencontrer un prophète en pleine méditation, un peu affaiblit sans doute. Quelqu'un qu'elle pourrait raisonner, capturer à loisir. Un divertissement, qu'elle ramènerait à Barakhan où il ornerait sa cour, peut-être. Une carte à garder en main si son actuel allié au sein de la Confédération se montrait trop incontrôlable. L'idée avait parcouru son esprit depuis la retraite du vieil homme. Avait mûri durant son trajet vers la galaxie morte, et pris forme durant son retour. Peut-être qu'il y avait plus à faire avec le prophète que simplement l'employer. Peut-être, peut-être que...
Elle déboucha au sein de l'antre dans un état de stress palpable. En orbite, sa flotte avait engagé une bataille pour sa survie. Il allait sans dire que si elle tombait, la planète tomberait aussi. Il allait sans doute, selon l'esprit méfiant de Lakshmî, qu'elle était trahie, faite comme un rat. Peut-être que, maintenant qu'on avait répondu à ses questions sur Nos Bienfaiteurs, ce fameux Destin qu'elle avait senti agir sur elle tout au cours de son existence, et plus encore ici qu'ailleurs, allait mettre un terme à son histoire.
Mourir ici ? Vraiment ? Et à quoi bon ?
« Un instant. » Elle arriva dans la salle, faisant signe à deux lions de rester à la porte. Elle approcha de la cloche, son regard allait du voile à la femme, se fixant brièvement sur la langue qui pendait hors de ses cheveux. Elle ressemblait à ses expérimentations malsaines qu'utilisaient Nos Bienfaiteurs, et que son propre régime avait reproduit. Les ordinateurs organiques, sensibles à l'immatériel, capable de l'appréhender. Dans son esprit toute la situation était claire. Une femme de chair, employée pour maintenir… Quelque-chose. Lakshmî se passa une main sur le visage et déclara tout haut ce que pensaient sans doute ses quelques gardes du corps.
« Bordel de merde, encore de la magie ! »
Puis elle fit silence, et écouta avec stupéfaction le voile, observant sa matérialisation avec un net mouvement de recul et une expression tout aussi nette de dégoût ;
« Ce qui craint la lumière n'est pas l'ami de l'Homme, ça au moins, j'en suis sûre. Documentez tous les enfants. Filmez-moi ce merdier, prenez des photos. Ce truc a le moyen de faire s'effondrer la Confédération. » Et, d'une voix forte. « T'ENTENDS ÇA DOT MAKH TAK ? VIENS, PRÉSENTE-TOI ET EXPLIQUES TOI, OU NOUS SALIRONS PLUS QUE TON IMAGE, VIEUX TARÉ LUBRIQUE ! »
Elle écarta les bras et, un peu par dépit se dirigea plutôt vers les ordinateurs, cherchant du regard ou placer les cassettes pour en observer le contenu. Encore de la magie. Encore de la technique confrontée à de la magie. Ce n'était pas son domaine d'expertise mais c'était tout ce qu'elle croisait depuis le début de son règne. De plus en plus lasse, elle fit signe à la femme qui lui servait de bras droit sur cette mission, lui indiquant le bouton rouge.
« J'ai la sensation que ce truc éteint les projecteurs. Je ne suis pas sûre qu'on ait le temps de mener une vraie expertise, des types vont venir nous faire la peau, c'est inévitable.
– On pourrait faire s'effondrer la cavité pour gagner du temps.
– Si la planète tombe ça n'arrêtera pas nos éventuels opposants.
– Mais ils viennent tuer le prophète, non ? »
Elle haussa les épaules.
« Si quelqu'un approche de ce bouton, ouvrez le feu. Je ne sais pas ce que c'est que cette situation mais... » Elle marqua un temps. « Non. Si quelqu'un approche de ce bouton, ouvrez le feu sur la femme. Je ne sais pas ce que ça fera, mais ils la gardent en vie pour une raison, pas vrai ?
– Madame, vous savez ce que vous faites ?
– Nan.
– Bien ce qu'y me semblait. » Les deux se regardèrent, et Lakshmî haussa un peu les épaules. L'autre acquiesça. « Ouais en même temps moi non-plus. On fera ça, cheffe. »
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